Le fonds est constitué par la correspondance reçue par Antoinette Desprès et son fils entre 1914 et 1922. On y trouve tout d’abord la correspondance active d'Albert Després : les 564 lettres à sa femme et son fils, et les quelques lettres adressées à d'autres membres de sa famille. Il comprend par ailleurs les lettres adressées à Albert Després durant le conflit par des compagnons d'armes, et les 12 lettres envoyées par Antoinette et son fils entre 24 avril et le 10 mai 1918 qui leur sont revenues suite à son décès. S’en suivent la correspondance et les documents officiels relatifs à la mort d'Albert et au rapatriement de son corps. Ce fonds renferme également les échanges entre Antoinette et sa famille, ses amis ou relations commerciales. Sont enfin conservées quelques photographies envoyées depuis le front par Albert à sa famille. Nous avons joints à ce fonds le tapuscrit de Jean-Olivier Després, arrière-petit-fils d'Albert Jean Després, qui contient la retranscription d'une grande partie de cette correspondance, ainsi que le texte intitulé « Lettres d'Albert Després Solognot et Homme de bonne volonté » rédigé par Agnès Després, épouse du petit-fils d'Albert Després, qui présente l'intérêt de ce fonds (6).
(6) La présentation suivante emprunte de longs passages au texte d'Agnès Després (cote 164 J 646), ces emprunts sont signalés en italique.
1. Un témoignage de la vie d'un poilu de la Grande Guerre
La correspondance d'Albert Després de sa mobilisation à sa mort est d'un intérêt profond. Ces lettres sont d'abord un témoignage au long cours, rare, précieux de la vie d'un poilu de la Grande guerre. Mobilisé de la première heure, Albert Després trouvera la mort à l'extrême fin du conflit, le 30 avril 1918, laissant une ouvre épistolière qui aura épousé la quasi-totalité du conflit.
Et si Albert Després, dès le 14 août 1914 prévient qu’« une grande partie des lettres sont décachetées », rien ne semble l'empêcher vraiment de truffer ses lettres de détails nombreux. Il y est question de la guerre, de l'organisation militaire, des assauts, de son avancement. Les lieux des opérations sont souvent passés sous silence, et ont été parfois biffés par la censure militaire. Est-ce pour s'en amuser, qu'il invente un langage codé (de simple anagrammes) destiné à son fils afin de lui faire deviner les lieux où il se trouve, révélant ainsi son caractère facétieux, trait de sa personnalité qui transparaît durablement dans sa correspondance, ou pour échapper plus sérieusement à cette censure ? D'un point de vue militaire, il relate quelques épisodes. En novembre 1914, il est appelé à témoigner dans un conseil de guerre (lettre du 12 et 17 novembre 1914). Il détaille les circonstances de sa blessure en avril 1915 ou encore comment, dans un tunnel, il a été « pris par une mine avec trois sections » (lettre du 22 novembre 1916). L'horreur des combats transparaît dans ses lettres : les bombardements, les cadavres d'Allemands dans les trous d'obus, les trains de blessés évacués du front. Il évoque aussi « l'enfer » de Verdun sans toutefois rentrer dans les détails. Les attaques ennemies sont souvent décrites de manière allusives voire sur un ton badin : « les boches qui ne sont pas sages » ou « ont un sale caractère ». « Son travail » demeure souvent obscur. Il se plaint une fois de la lourdeur des tâches administratives qu'il doit effectuer en tant qu'officier, il se félicite des différentes formations qu'il suit au cours du conflit et se réjouit enfin des victoires françaises et des nations alliées.
Ses lettres parlent de lui, essentiellement de sa « bonne santé », un peu de ses fatigues, des puces, d'une douche miraculeuse, de sa blessure à l'épaule. Son sens du détail la rend particulièrement intéressante à qui veut travailler sur le quotidien de la Première guerre mondiale. En livrant le contenu de ses colis par exemple, Albert Després donne un matériau précieux aux chercheurs. Des fraises « en très mauvais état [dont il n'a pas pu] profiter » à « la petite bouteille de cognac malheureusement abimée par l'odeur d'eau de Cologne (enfin il se laisse bien boire quand même) » en passant par la « vêture », l'épistolier solognot renseigne merveilleusement l'homme du XXIe s. sur la vie de tranchée. Il décrit aussi ses repas, les menus d'exception des jours de fête, la frugalité du « bouillon » quotidien mais aussi la raréfaction du pain et d'autres produits de première nécessité. Les différentes encres et mines de crayons utilisées, les divers papiers employés au cours des quatre années donnent souvent des indications supplémentaires sur les lieux, les climats, l'état d'urgence qu'il traverse. Souvent c'est sa main qui écrit qui trahit l'état d'urgence, le manque de temps, la précarité de sa situation, le froid qui engourdit ses membres. Si le déchiffrement de la lettre du 29 janvier 1915 est difficile, c'est qu'il ne peut pas « tenir [sa] plume tellement [il a] les mains froides ».
La durée et la qualité de ses écrits permettent aussi d'appréhender son caractère et son évolution psychologique durant toute la période du conflit : d'un patriotisme sans faille, sa foi en la victoire demeurera constante tout comme sa haine des ennemis. Une partie de ses lettres est empreinte d'humour, y compris pour qualifier la précarité de sa vie de « termite ». Toutefois, le temps passant, la nostalgie et la douleur d'être arraché à sa famille, sont de plus en plus manifestes notamment lors de ses retours de permission. Jamais il ne remet en cause cependant sa mission ni la guerre elle-même, s'emportant contre les « ignorants de la guerre [...] cachés derrière leur mère ou au fond de leurs propriétés et les châteaux », il ne cesse au contraire de louer les poilus. Il écrit le 17 décembre 1917 : « Tous les jours nous avons des heures graves, mais avec nos poilus, nous avons l'habitude de la souffrance, de la privation. Du reste c'est cette souffrance, cette préparation qui fait notre force et nous en sommes fiers ». Les lettres envoyées par ses camarades et ses supérieurs ainsi que les condoléances reçues par Antoinette confirme cette vision d'un soldat exemplaire aimé de ses hommes et respecté par ses officiers (7).
La justification de son engagement et de son futur sacrifice trouve son point d'orgue dans la fameuse lettre-testament adressée le 11 octobre 1916 à son fils Albert à l'occasion de ses 9 ans, souvent reprise en exemple au cours des commémorations du centenaire de la Grande Guerre (8). Dans cette lettre, et plus généralement dans sa correspondance, apparaît surtout l'amour qu'il porte à sa femme et son fils.
(7) À noter cependant la mention dans sa correspondance d’une lettre anonyme envoyée à sa femme par un soldat de sa compagnie se plaignant du traitement qu'il réserve à ses hommes (lettres du 23 et 26 juin 1917).
(8) La Lettre à mon fils qui vient d'avoir 9 ans a été publiée dans le livre de Jean-Pierre Guéno, Paroles de poilus. On peut également la lire sur le site de la réserve citoyenne de Paris : http://www.reserve-citoyenne-paris.org/2016/02/a-mon-fils-de-9-ans.html
2. Une source pour l'histoire de la Sologne pendant la Grande Guerre
[Albert Després] est avant tout solognot. Les lieux, les familles, les amis de chez lui rythment ces quatre années de lettres et nul doute que les allusions à Pierrefitte-sur-Sauldre et à ses alentours alimenteront les recherches régionales. S'il a su se faire des « camarades » de tranchées, des « copains » d'infortune, rien ne remplace ses « amis » du pays, Pierre, Victor, Auguste, Emile, Fernand, Honoré et quelques autres. Leurs noms - leurs prénoms pour les plus proches - nourrissent la fin de ses lettres et on aura tout bénéfice à en tirer les fils d'Ariane qui s'en échappent. De là où il est cantonné, il se tient au courant, n'oublie pas les « conseillers municipaux » de la mairie dont il était secrétaire. Il partage la peine, les douleurs de ses « pays » à l'exemple de celles de ce « pauvre Prosper lui qui [en septembre 1914] fournit à la France un si gros noyau de braves soldats comment se porte-t-il, comment vont ses enfants ».
Certains éléments de ses courriers, de ceux rédigés par sa femme, et surtout de ceux de la main du petit Albert qui, en grandissant, devient auteur et destinataires des lettres, constituent une source sur l'enfance en Sologne pendant la Première Guerre mondiale. Une vie d'écolier qui envoie récitations et dessins à son père, raconte les sorties à bicyclette, les autres évènements qui rythment la vie de l'enfant telle la préparation de sa première communion ou les cadeaux qu'il reçoit à Noël.
La correspondance familiale et amicale d'Antoinette est un témoignage de la vie de l'arrière et de l'histoire locale. Outre l'inquiétude pour le sort de son époux et celle de son frère Emile, également parti au front, ces lettres sont le reflet du quotidien de sa famille, de ses proches et de son village. Y sont racontées en autres ses activités d'hôtelière ou la vie du moulin familial. On y apprend ainsi que les « évacués d'Amiens » qu'elle héberge « [lui] donnent beaucoup de travail ».
La dernière partie du fonds est consacrée aux suites du décès d'Albert. Elle contient des lettres de condoléances, les échanges avec le commandant de son régiment Jules Clavet et les réponses des témoins auprès desquels Antoinette cherche à obtenir le récit précis des derniers moments de la vie de son époux. Enfin les documents officiels contenus dans ce fonds témoignent de la façon dont Antoinette et son fils ont ramené en 1922 le corps d'Albert pour qu'il soit inhumé près des siens. Ce périple est ainsi décrit par son arrière-petit-fils, Jean-Olivier Després, dans la conclusion du tapuscrit contenant la transcription d'une partie important de la correspondance d'Albert Jean Després (9) : « voyage inouï, un train qui s'arrête en rase campagne sans explication. Une femme et un enfant qui continuent le pèlerinage à pied. Puis le corps enfin retrouvé, dans la région d'Ypres en Belgique, ils repartent en sens inverse tirant une charrette à bras où reposait le cercueil recherché. Deux cents kilomètres à travers les ruines d'une France exsangue [...] Terrible leçon pour un enfant de onze ans qui, toute sa vie sera marqué par cette épreuve. »
(9) Jean-Olivier Després, « La Der des ders (par écrit). Correspondances de guerre 1914-1918 », Paris, septembre 1997 (cote 164 J 645)