"Près de soixante-dix ans consacrés à l’histoire et à l'archéologie, près de trente ans passés dans les fonctions de conservateur du château et du musée de Blois : ainsi peut se résumer la carrière du docteur Lesueur, auquel l'Institut de France avait, dès 1943, attribué le grand prix Schlumberger pour l'ensemble de son oeuvre.
Les curiosités de ce grand érudit ont été diverses : éditeur, au début de sa carrière, des cahiers de doléances du bailliage de Blois, devenu, passé quatre-vingts ans, l'historien de Thibaud le Tricheur, le docteur Lesueur se consacra avant tout à l'archéologie et à l'histoire de l'art de la vallée moyenne de la Loire, son pays. À ce titre, le congrès de la Société française d'archéologie organisé à Blois en 1925 lui doit la meilleure part de ses notices. Président, à de nombreuses reprises, de la vieille Société des Sciences et Lettres de Loir-et-Cher, dont les volumes de Mémoires ont publié une part importante de son oeuvre : monographies du château de Menars, de l'abbatiale Saint-Lomer de Blois, Thibaud le Tricheur, etc., conservateur des antiquités et objets d'art pendant plus d'un quart de siècle, inspecteur de la société française d'archéologie, le docteur Lesueur connaissait mieux que personne les églises de Loir-et-Cher, et la véritable somme qu'il a publiée chez Picard en 1969 est un monument de précision sans longueurs, d'équilibre entre l'analyse et l'utilisation des sources, indispensable à toute recherche ultérieure. Un an plus tard, le même éditeur publiait un livre sur le château de Blois écrit à quatre-vingt-dix ans par un auteur qui, abandonnant délibérément la rédaction et le plan du livre consacré par lui en 1921, avec la collaboration de son frère Pierre, au même sujet, revenait sur des problèmes dont la solution lui était apparue depuis lors (galerie dite de Charles d'Orléans, qu'il faut attribuer à Louis XII) ou écrivait des chapitres nouveaux (projets de constructions à la fin du XVIe siècle, d'après les dessins du musée de Stockholm). En 1969 enfin, le Bulletin monumental avait publié un dernier article sur le porche de Saint-Benoit-sur- Loire, où le docteur Lesueur apportait à cette étude difficile un texte du début du XIIe siècle resté jusque-là inconnu des archéologues.
Entre tant de livres et d'articles importants, on ne peut qu'évoquer ici les principaux sujets d'intérêt de leur auteur : expansion en Vendômois et en Blésois du « gothique angevin », étapes de la construction de Chambord, Saint-Martin de Tours, Saint-Aignan d'Orléans et, plus généralement, l'architecture religieuse du Val de Loire au XIe siècle, ont marqué, pourrait-on dire de l'archéologue comme d'un peintre, les « périodes » de sa carrière.
Ce qui en reste d'essentiel, au-delà des conclusions mêmes, est assurément la probité intellectuelle : chez lui, la subtilité de l'analyse et de la comparaison des formes restent toujours soumises aux textes originaux, qu'il savait critiquer et utiliser sans jamais les solliciter, et il n'hésitait pas à revenir sur une opinion antérieure quand il estimait que le progrès des connaissances lui en faisait le devoir. Ayant abordé quelques-uns des problèmes les plus épineux qui se présentent aux archéologues du haut moyen-âge, le docteur Lesueur suivra la loi commune : ses conclusions ne seront pas admises par tous ; mais sa modestie et son sens de la relativité lui interdisaient bien de penser qu'il pût en aller autrement, et la méthode de sa démarche restera toujours exemplaire."
Jean-Martin Demézil